Originaire de Colombie, Gabriel Sierra Henao mêle diverses influences sud-américaines et européennes dans ses œuvres qui prennent la forme de peintures, sculptures et gravures. Le métissage et l’identité sont des thèmes indissociables de ses créations où l’homme est en parfaite harmonie avec la nature. Son emploi récurrent de la feuille d’or évoque le passé de l’Amérique latine marquée par les relations conflictuelles entre les colons espagnols et les indigènes. Associé à la cupidité en Occident, l’or est perçu comme un talisman assurant la protection divine dans le Nouveau Monde. Il est nécessaire de se confronter à divers points de vue selon Gabriel Sierra Henao. Son travail véhicule indéniablement un message de tolérance : c’est une invitation à la découverte d’autrui. 

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Gabriel Sierra Henao s’est confié à l’équipe d’Art Confidential sur sa pratique, ses sources d’inspiration ainsi que ses projets. 

 

 

 

Pourquoi avez-vous choisi d’être artiste ?

J’ai toujours été sensible à l’art. Dès le départ, je ne pensais pas être artiste mais cela m’a toujours intéressé. J’ai commencé des études dans une école de commerce et cela m’a confirmé que cela ne me convenait pas du tout. C’est à ce moment-là que je suis arrivé en France. J’ai commencé à étudier les arts plastiques puis l’histoire de l’art. Ensuite, j’ai fait un Master en histoire de l’art. Ce n’est qu’après mon Master que j’ai réalisé que je voulais travailler dans le domaine de la production artistique. Je m’y suis donc pleinement consacré. 

 

 

Qu’est-ce qui vous inspire particulièrement ? J’ai pu constater que vous vous intéressez aux liens entre l’art colombien et la France.

Au-delà de l’art colombien et de la France, c’est le métissage culturel qui m’intéresse. Ce n’est pas limité à la Colombie et la France. C’est principalement l’Amérique latine car on parle toujours de ce que l’on connaît le mieux. L’Europe également m’intéresse. Je suis Colombien mais je n’hésite pas à faire référence à l’art mexicain, péruvien, bolivien…à l’art de toute l’Amérique latine. C’est pareil pour l’Europe. Cela peut-être français comme espagnol, anglais, italien… L’identité et le métissage sont les deux thèmes principaux de mon travail.

 

 

Pourquoi avez-vous choisi la France pour bâtir votre carrière artistique ? 

La tradition culturelle française est très riche. Je voulais faire mes études en Europe. 

 

 

Est-ce qu’il y a un artiste ou une période spécifique qui vous inspire ? 

Le déclencheur de ma vocation artistique est un peintre colombien qui s’appelle Pedro Ruiz. Je travaille avec lui actuellement. Il a une approche très intéressante de la peinture. Aujourd’hui l’art contemporain est focalisé sur la nouveauté, les références, les citations d’autres artistes…on se concentre sur ce qui a été fait avant et pas forcément sur la recherche esthétique. Pedro Ruiz, quant à lui,  aime les belles choses. C’est un peintre avec beaucoup de délicatesse. Il s’intéresse principalement à la Colombie, la richesse de la diversité culturelle, l’héritage amérindien ainsi qu’à la faune et la flore.Il fait de très beaux tableaux et cela m’a toujours inspiré. On peut faire de belles choses qui ont un message très profond sans passer par quelque chose qui soit complètement conceptuel. 

 

 

J’ai remarqué que vous représentez souvent la nature et que vous employez fréquemment la technique de la feuille d’or.

L’or a une relation spéciale avec l’Amérique latine. C’est un cadeau empoisonné d’une certaine manière. Moi, je l’utilise dans une démarche plus symbolique dans la mesure où il a la même signification pour les indigènes. Je l’utilise en tant qu’objet de culte et presque comme un talisman pour attirer la bénédiction des dieux et pas du tout dans une démarche commerciale. Il y a un vrai contraste avec les colons espagnols dont l’attrait pour l’or était associé à la cupidité. L’or a une signification particulière en Amérique du Sud et c’est pour cela que je l’utilise. 

 

Vos œuvres témoignent d’un rapport assez proche avec la nature.

Oui, c’est le plus important. Je pense qu’il y a un fort besoin de réorganiser nos priorités. C’est la principale source d’inspiration et de beauté sur Terre. Il faut être sensible à la nature.

 

 

Vous prônez donc l’harmonie entre l’homme et la nature ?

Exactement.

 

 

Vous préférez la peinture ou la sculpture ?

Je n’ai pas de préférence. J’aime varier les plaisirs§ J’ai des périodes durant lesquelles j’aime peindre. J’alterne avec la sculpture pour que ma pratique ne soit pas monotone.Cela permet de ne pas me lasser.J’aime alterner les techniques car cela me permet de porter un autre regard. Je travaille actuellement sur des bas-reliefs qui sont de véritables tableaux sculptés. Ce ne sont pas des peintures et en même temps ce ne sont pas des sculptures travaillées en ronde-bosse. Je mélange les cultures et les techniques.

 

 

On peut dire que vous cherchez à réinventer les traditions.

Non, je ne réinvente pas vraiment les traditions. Une culture est en mouvement et il faut voir comment elle évolue avec des influences diverses et des connaissances anciennes comme celles transmises par les indigènes. Je les réinterprète et je tente de définir leur place dans la société et ce qu’elles peuvent nous apporter. 

 

Vous portez un regard très personnel sur l’histoire et l’art.

Oui. Je suis influencé par le passé et mes études en histoire de l’art. Il est impossible de ne pas être influencé par ce qui a déjà été fait. 

Vous avez produit beaucoup de bustes de Tomi Ungerer. Pourquoi cette personne vous inspire-t-elle ?

J’ ai étudié cinq ans à Strasbourg avant de m’installer à Paris. C’est une personnalité incontournable. J’ai découvert son travail dans les musées avant d’avoir la chance de le connaître.  Il m’a proposé de faire son buste en sachant que j’admirais son travail. Ce projet m’a permis de le voir plus souvent et de lui rendre hommage. Il a beaucoup compté pour moi. Il est comme un mentor. Aujourd’hui je travaille sur des illustrations de contes pour enfants car il m’inspire. 

 

 

Gabriel Sierra Henao, Sans titre, Buste en terre cuite.

 

 

Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus sur la série Dialogos dans laquelle vous reprenez un motif carré sur différents fonds colorés ? 

Il s’agit toujours du même processus de transformation et de retour à une source originelle. Comment trouver un équilibre est la question posée par Dialogos. Je commence par une taille sur bois de 20 x 20 cm et ensuite je fais un moule pour réaliser un bronze. Ce sont les changements de matière avec un même motif et une même texture de bois qui m’intéressent. On garde le même motif dans une matérialité différente. L’encadré permet de trouver un équilibre: le bronze ne doit pas faire de l’ombre au bois et réciproquement. C’est l’histoire du métissage. 

 

 

Œuvre appartenant à la série Dialogos réalisée en 2021 par Gabriel Sierra Henao.

 

 

Le métissage est au cœur de votre travail. Est-ce qu’on peut le comparer à un leitmotiv ?

Oui. Il y a des constantes dans tout ce que l’on fait et notamment dans le travail. Le métissage est vraiment un sujet qui revient très souvent dans mon œuvre.L’autre n’est pas une menace: on peut apprendre de lui. Il nous fait grandir et permet l’enrichissement à travers la confrontation. C’est aussi une question de point de vue. On associe souvent l’Amérique à un nouveau continent. Les Européens et les Colombiens portent des regards très différents. Pour les civilisations du nord de la Colombie et les indigènes, les Européens et les descendants des Européens sont vus comme des petits frères. Ils pensent qu’ils n’ont pas compris l’importance de la nature mais c’est normal car ils sont trop jeunes. Ils le comprendront plus tard. A l’inverse, un Européen perçoit les indigènes comme des peuples sous-développés car ils n’ont pas compris les enjeux industriels et technologiques. Finalement, il faut dépasser ces conceptions. Que nous apportent-ils? Je pense qu’il faut porter un regard plus tolérant sur le monde. 

 

 

Est-ce que vous pensez que la culture colombienne serait la même sans l’arrivée des Européens ? 

Non, évidemment c’est totalement différent. Ce sont plusieurs siècles qui marquent la culture colombienne. L’histoire aurait été complètement différente sans  l’arrivée des Espagnols. Cela n’aurait pas forcément été mieux mais on ne peut pas savoir ce qui se serait passé. C’est certain que cela aurait évolué différemment. 

 

 

Le métissage fait donc partie de la culture colombienne. C’est un élément central de son identité.

Oui, tout à fait. C’est un peuple constitué de populations très distinctes: les indigènes, les Européens, les Africains arrivés en tant qu’esclaves…c’est la culture colombienne et cela est visible dans la musique, la peinture, les mœurs… C’est un vrai mélange. 

 

 

Pensez-vous que votre travail a été affecté par la pandémie de la COVID-19 ?

Ah, cela n’a pas vraiment impacté mon travail. J’en ai profité pour travailler beaucoup. Il m’est impossible de ne rien faire. J’ai travaillé énormément et je n’en pouvais plus. Après avoir eu la possibilité de sortir, j’ai ralenti le rythme de travail. Cela ne m’a pas inspiré mais cela m’a permis de consacrer plus de temps à des projets sur lesquels je travaillais déjà. Par exemple, j’ai commencé la série Dialogos lors du premier confinement. 

 

 

Avez-vous un support de prédilection ?

J’aime beaucoup travailler le bois et le bronze. Je prends beaucoup de plaisir à réaliser la taille. C’est comme une activité de méditation. 

 

 

Quels sont vos futurs projets ? 

Je suis ouvert à toutes les propositions ! J’aimerais beaucoup travailler la décoration liée à l’architecture. J’aime beaucoup l’architecture qui laisse une place à l’expression artistique. J’apprécierais avoir l’opportunité de travailler dans des bâtiments avec des surfaces où je pourrais faire des bas-reliefs monumentaux. J’espère que j’en aurai l’occasion. J’aime aussi écrire. Je souhaiterais écrire un petit texte, un roman. J’avais pour projet de réaliser un documentaire avec une amie colombienne et j’aimerais pouvoir le réaliser.

 

Prise de vue d’une œuvre de Gabriel Sierra Henao aux côtés de l’équipe d’Art Confidential.